Les mains nous parlent, Fidèle Kabré
Fidèle Gaétan Kabré est un peintre et dessinateur burkinabé. Né le 29 Mars 1982 à Kombissiri, ville située à une quarantaine de kilomètres de Ouagadougou, il entame sa carrière professionnelle en 2012. Artiste polyvalent qui pratique le dessin, la calligraphie, la peinture à huile et l’acrylique, il est, au départ, un peintre figuratif amoureux du portrait et du carnet de route. Mais, après un atelier sur le thème de l’ombre et de la lumière, son inclination naturelle et, sans doute, une inspiration venue des arts primitifs l’emportent véritablement vers un penchant poétique particulier, vers une épiphanie des visages et des mains !
Technique de peinture
Kabré Fidèle use d’une palette austère, où dominent les couleurs primaires : le bleu, le rouge, le vert, le blanc… Peindre chez lui s’apparente à une danse chorégraphique à travers un investissement physique et une orchestration gestuelle. D’abord, ce sont les pinceaux- prolongement de la main- qu’il trempe dans la peinture et ils parcourent la toile fébrilement. Puis rapidement les mains s’imposent, elles triturent, zèbrent, maculent, mélangent les couches, renforcent ou estompent des contours de visages et de mains. A la fin, surgissent des scènes de la quotidienneté. Des visages émergent : Un, deux, trois parfois. Ceux d’hommes, de femmes… Et des mains ! Souvent une paume ouverte, des doigts écartés. Une atmosphère onirique où naissent des personnages dans cette peinture tremblée…
Fidèle Kabré opère sur deux couches, celle de la mémoire et celle du rêve. Son art va à la recherche du Temps perdu, des choses entrevues et oubliées, des êtres disparus, des visages rencontrés, des corps effleurés, des sourires reçus ou interceptés.
Il s’agit d’une entreprise de reconquête d’un monde englouti, de réalités enfouies dans l’inconscient et par les artifices de la peinture retrouvés. Dans ce travail, il n’y a pas de croquis préalable, mais juste un besoin d’accéder au territoire de l’enfance, de la réminiscence et de la rêverie.
Un projet catalogue initié par les Editions Grenier réunit une trentaine de tableaux où reviennent de manière obsessionnelle des visages et des mains. Pourquoi cette omniprésence ?
La Main : Entre Art, Tradition et Symbolisme
Il est loisible de conjecturer que l’artiste s’inscrit dans une longue tradition de peintres et de sculpteurs qui s’intéressent à la main. Son œuvre semble inspiré de l’art pariétal du Paléolithique, quand les hommes apposaient les empreintes de leurs mains sur les murs des cavernes. Aussi à l’histoire de l’art occidental, à la floraison des moulages de mains d’artistes au 19è siècle en France, et jusqu’à La Main de César, cette sculpture d’une immense menotte tenant la colonne du métro de Lille.
Son travail s’inspire aussi de la statuaire africaine où la main est souvent présente à l’instar des hiéroglyphes géants du Nekheb, et particulièrement dans la représentation de l’artisan, du danseur ou du lutteur.
Il faut ajouter que Fidèle Kabré appartient à une communauté (les Mossis) où la main joue un grand rôle dans les interactions sociales. Ainsi, la salutation est un long cérémonial où l’on se sert les mains, où on se déprend et se reprend. Les doigts se touchent, se tâtent, se serrent, se quittent, reviennent, se quittent de nouveau et se retrouvent encore. Parce que la main est un objet de connaissance de l’autre : lisses, calleuses, chaudes, froides, osseuses ou grasses, elles disent la condition sociale, la condition physique, le tempérament, la psychologie. Et, très souvent, le geste accompagne la parole pour lui imposer le tempo, renforcer le sens, mimer l’emphase…
Les Mains Pensantes : L’Exploration de Fidèle Kabré
Les toiles de Fidèle Kabré posent donc la question de l’importance des mains dans la vie humaine, à l’instar de Paul Valery qui pensait dès 1922 que « l’étude approfondie de la main humaine (système articulé, forces, contacts, etc.) est mille fois plus intéressante que celle du cerveau. » En regardant de près les œuvres de l’artiste, on pourrait même penser qu’avec l’autonomie apparente des mains par opposition avec le reste du corps, celles-là disposent d’un « cerveau extérieur » comme l’affirmait Kant.
En somme, les créations de Fidèle Kabré nous touchent parce qu’elles nous parlent de nos rêves, parce qu’elles éveillent en nous quelque chose d’enfoui et qu’elles nous transportent dans un monde de fraternité et de chaleur, où les visages sourient, où les mains sont amicales. Avec l’impression «de recouvrer, sous une autre forme, quelque chose qui avait été [nôtre] », comme ce personnage de J.L. Borgès dans Le Guerrier et la captive.